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Alexandre Venet

No Man's Sky : sur la procéduralité

Réflexions ludiques

Quelques réflexions sur la procéduralité du jeu No Man's Sky : cohérence, représentations, occasionnalisme...

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Aléatoire contre adaptation

La génération des créatures de No Man's Sky est procédurale à partir d'un modèle de base et de parties prédéfinies correspondant à ce modèle. Cela conduit à des centaines de milliers de créatures différentes possibles.

La procédure utilisée peut conduire à des créatures aussi belles que loufoques.

La variété des résultats donne l'impression de combinaisons aléatoires, qui ne suivent aucun ordre de développement interne. Le logiciel ne produit pas des animaux qui se sont adaptés à leur milieu de vie mais des créatures arbitraires sans lien particulier avec leur milieu.

Exemple : sont possibles des créatures comme celle ayant un corps de mammifère, des plumes, une tête de poisson et des antennes d'insecte (ou de mollusque, je ne sais pas).

Quelle que soit la combinaison, la créature est calculée pour être produite. Il n'y a aucun « raté ». Ainsi, les créatures semblent cohérentes pour deux raisons : (1) la procéduralité, source de leur combinaison, et (2) le fait qu'elles « fonctionnent », c'est-à-dire qu’elles ont un comportement (se mouvoir dans l'espace, fuir ou attaquer, etc.).

Dans un contexte qui voudrait que le jeu offre un monde organisé (κόσμος) simulant notre monde réel, ces créatures sont absurdes. Mais si on considère ce monde selon ses propres règles d'organisation, alors ces créatures sont cohérentes.

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Montage de captures d'écran réalisées par des joueurs (sources plus bas)

Questions de limites

Dans ce cas, des questions se posent.

Pourquoi ne pas ajouter toute sorte de variables ?

Exemple : des parties gazeuses, un déplacement par téléportation, des démembrements de parties restant pourtant en relation, etc.

Pourquoi n'y a-t-il pas une règle selon laquelle telle combinaison serait jugée non viable et que la créature serait tout de même produite (respect de la règle d'obligation de résultat) mais dont la combinaison la conduit à un autre type de « fonctionnement » ?

Exemple : des assemblages qui conduisent à la suffocation, à la mort, à des mutations immédiates, à une interaction, etc.

Ainsi, la question générale est : qu'est-ce qui limite les développeurs dans l'instauration des règles de génération ? Pourquoi le jeu n'est-il pas délirant ? Pourquoi n'y a-t-il pas un « curseur de délire » permettant de s'affranchir du semblant de réalisme qui se dégage de No Man's Sky ?

Exemple : pourquoi des planètes qui ressemblent encore à de vraies planètes ? Pourquoi le ciel et le sol encore comme constantes ? Pourquoi pas de minéraux vivants, des cavernes atmosphériques, des développements immobiles...

Bouleverser les représentations

Cet aléatoire (ou arbitraire, ou absurde, dans cet axe de réflexion) interroge nos représentations.

Poursuivons dans le thème des créatures. L'aléatoire concerne toute créature du jeu ; donc, elle se porte aussi sur les créatures qui semblent cohérentes par rapport à notre monde réel, qui semblent correspondre à un genre déterminé.

Ainsi, dans le jeu, une créature qui semble objet clair de taxonomie n'est pas plus cohérente qu'une autre qui me paraît complètement étrange. L'aléatoire a rendu aléatoire aussi ce qui me paraissait cohérent du point de vue du développement interne et de la dépendance au milieu.

Remarque : une taxonomie des créatures de No Man's Sky est-elle impossible ? Le modèle de base ne peut-il pas être posé comme taxon ?

Procéduralité = occasionnalisme ?

No Man’s Sky est alors une expérience de la procéduralité dont le thème est l'exploration spatiale. Le but du jeu, c'est de s'étonner des combinaisons, de voyager dans un monde où les règles ne sont pas complexes par rapport aux lois du monde réel. Le dépaysement qu'offre le jeu ne vient pas de possibilités nouvelles sous contraintes réalistes mais de l'affranchissement de contraintes réalistes (développement interne, dépendances au milieu).

Ainsi, l'expérience de ce jeu est ici : découvrir à chaque pas ce que le logiciel crée par combinaison en suivant des règles qui lui sont propres sans que cela soit une simulation. N'est-ce pas alors l'expérience de la cause occasionnelle : seul le logiciel (la procédure mondaine) est, quelle que soit la chose créée, car cette volonté s'exerce partout et en toute occasion (sauf sur les choix du joueur mais le joueur est toutefois orienté, contraint, par ce que propose le logiciel) et toute création reste viable dans le contexte de cette volonté. Il n'y a donc de réalité que la procédure.

On pourrait objecter que c'est le cas de tout programme informatique. Or, l'argument porte au-delà de l'aspect technique : il en va de la nature conceptuelle de No Man's Sky.

Procéduralité comme actrice

Il serait d’ailleurs intéressant que les scénaristes prennent en charge la procéduralité pour lui donner un rôle et un statut. Sans quoi, elle se résume à un exotisme informatique, une caractéristique sans profondeur. Si le concept de No Man's Sky se fonde sur la procéduralité, alors cette dernière ne doit-elle pas être au cœur d’une histoire ?

Références

En savoir plus sur No Man's Sky :

Sources des images présentées en montage (de gauche à droite, de haut en bas) :

www.alhomepage.com/articles/2018-05-09-nomanssky-sur-la-proceduralite

Par Alexandre Venet, le 09-05-2018

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